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Biochimie des protéines


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8.0 Protéomique et découverte de drogues

La protéomique, ou étude à grande échelle des protéines, n'est pas strictement limitée au domaine commercial. De nombreux laboratoires utilisent depuis longtemps des techniques de gels 2D ou de spectrométrie de masse pour étudier en même temps de très nombreuses protéines.

Cependant, comme l'industrie doit constamment chercher à accélérer le processus de développement de nouveaux médicaments, il n'est pas étonnant qu'elle ait recours à toutes les techniques qui lui permettent de gagner du temps et de se présenter devant les consommateurs avec un nouveau produit avant la compétition.

Dans ce chapitre, nous parlerons du mécanisme de mise en marché de nouveaux médicaments et nous mentionnerons, en guise d'exemple, trois compagnies de biotechnologie qui ont mis sur pied d'ingénieux systèmes protéomiques.


8.1 Le développement d'une nouvelle drogue

8.1.1 D'hier à aujourd'hui

La grande force de notre système moderne de mise en marché des médicaments, c'est que ces derniers sont supposés fonctionner. Ne riez pas! Pendant longtemps, les décisions médicales ou pharmacologiques n'ont rien eu à voir avec l'observation ou avec ce duo étonnant que sont Essai et Erreur.

À la place, nos ancêtres pleins de bonnes intentions essayaient de corriger les états de santé défaillants en appliquant leurs connaissances limitées du monde qui les entourait. Vous avez sûrement entendu parler de nombreuses théories qui nous paraissent fort étranges aujourd'hui, théories souvent basées sur d'antiques systèmes philosophiques plutôt que sur l'observation des malades.

Ainsi, au moyen-âge, le plus docte des médecins aurait pu vous expliquer sans rire que votre état de santé dépendait de l'équilibre des quatres humeurs que vous contenez: le phlegme, la bile jaune, la bile noire et le sang. (Son collègue le chimiste vous aurait expliqué que la matière, elle, était composée de quatre éléments: le feu, l'air, la terre et l'eau). Sur quoi se basait cette croyance? Pas sur l'étude des malades, en tout cas!!! Il y a gros à parier que si vous attrapiez une phlébite, un chirurgien-barbier vous diagnostique en moins de deux un excès de sang par rapport aux trois autres humeurs, et vous étiez bon pour un petit traitement aux sangsues. (George Washington, le premier président des États-Unis, trouva la mort après avoir pris froid un bel hiver... et avoir été abondamment SAIGNÉ par son médecin).

Cet état de choses plutôt dangereux pour les patients provenait en partie d'une croyance (encore maintenue aujourd'hui par de nombreux vendeurs d'huile de castor) selon laquelle les Sages de l'antiquité étaient vachement forts en tout, et que toute sagesse ne pouvait provenir que de l'émulation de ces très grands esprits. Alors si Aristote déclarait que les abeilles ou les écrevisses sont des animaux dépourvus de sang, il était inutile d'aller vérifier. Aristote l'a dit il y a 2 000 ans, donc ça doit être vrai.

Heureusement, la curiosité naturelle de nos congénères leur permettait quand même de découvrir des choses, et d'appliquer leurs découvertes à des problèmes concrets. Force est de reconnaître que de boire une tisane de salicaire soulage les maux de têtes un peu mieux que les amulettes du sorcier local, et que d'ingérer du jus de raisin fermenté fait oublier les soucis. (Jusqu'à ce qu'il donne mal à la tête, auquel cas il est bon d'avoir de la tisane de salicaire pas loin). Éventuellement, on a cherché à savoir ce qui, dans la salicaire, apportait un soulagement... et nous savons maintenant qu'il s'agit de l'aspirine, un inhibiteur de la synthèse des prostaglandines, et au diable les biles jaune et noire.

8.1.2 La méthode expérimentale

La méthode expérimentale est le concept le plus révolutionnaire de toute l'histoire de la science. En termes simples, il s'agit de répondre à la question "oui, mais ça marche-tu?" et de vérifier si notre succès est dû à autre chose qu'au hasard. (Par exemple, je suis sûr qu'un horoscope peut prédire avec succès le résultat d'une partie quotidienne de pile ou face... avec un taux de réussite de 50%. Le hasard fait tout aussi bien).

L'industrie moderne utilise deux approches complémentaires pour produire de nouveaux médicaments:
(a) Partir avec un problème et lui trouver une solution;
(b) Développer un produit et essayer de trouver un problème qu'il peut résoudre.

Dans le premier cas, on étudiera des pathologies particulières, et on cherchera à les contrôler en jouant sur différents paramètres qui lui sont propres. Par exemple, puisqu'on sait que de nombreux cancers dépendent de la protéine de signalisation Ras qui est positionnée à la membrane plasmique par une ancre de farnesol, on peut développer un inhibiteur de farnesoylation et ainsi contrecarrer l'action de Ras.

Dans le second cas, on peut ramasser n'importe quel microorganisme dans un champ ou une forêt, le cultiver en laboratoire, et tester les substances qu'il produit dans différents contextes pour voir si cette bibitte ne serait pas en train de synthétiser un quelconque médicament miracle. C'est ainsi qu'on a découvert la pénicilline ou la cyclosporine, après tout.

8.1.3 La recherche pré-clinique

La première étape du développement d'une nouvelle drogue est la recherche pré-clinique. C'est l'étape de la bonne idée. Soit on a rencontré un shaman sibérien qui jure que sa liqueur de lichen peut guérir les pieds plats, soit on a identifié un mécanisme moléculaire qui, interrompu, pourrait empêcher le développement des verrues plantaires. Bref, c'est l'étape ou une idée va être exposée et testée.

La première chose à l'ordre du jour lors de cette étape est d'avoir une cible, qui sera d'ordinaire fournie par des travaux de recherche fondamentale. Par exemple, des chercheurs peuvent déterminer que certains cancers du sein sont stimulés par les estrogènes. La stratégie serait donc de découvrir un médicament qui inhibe l'activité du récepteur des estrogènes (le facteur de transcription ER) pour attaquer ces cancers. ER serait considéré la cible d'une telle stratégie.

Bien sûr, certaines entreprises pharmaceutiques chercheront à découvrir elles-mêmes leurs propres cibles. Pourquoi? Parce que dans l'industrie, il n'y a rien de tel pour assurer les profits que l'exclusivité d'un concept, d'une idée, d'un protocole ou d'une substance. Cette exclusivité est assurée par l'obtention d'un brevet. Et au bureau des brevets, c'est premier arrivé, premier servi. Si l'idée d'utiliser ER comme cible dans le traitement du cancer du sein avait été pondue dans une entreprise plutôt qu'un labo académique, cette entreprise aurait pu la breveter... et être la seule à avoir le droit de s'en servir.

8.1.4 Phase I

Les phases cliniques sont celles ou on teste chez l'être humain. Elles sont au nombre de quatre.

La phase I dure entre deux et six mois. Elle vise principalement à déterminer si la drogue candidate est sécuritaire chez l'être humain. Quelques dizaines de sujets sont utilisés comme cobayes pour cette phase; certains sont malades, d'autres bien portant. Bien sûr, on a déjà testé la drogue sur des animaux à cette étape et on sait qu'elle sera probablement sans danger; cependant, on veut s'en assurer parce qu'on ne sait jamais. Les deux tiers des drogues candidates passent cette étape.

8.1.5 Phase II

La phase II vient ensuite. Personne n'ayant subi de dommages spectaculaires pendant la phase I, on peut maintenant tester la drogue sur un plus grand nombre de personnes (jusqu'à plusieurs centaines). On va aussi commencer à tester la drogue pour voir si elle a l'effet qu'on veut sur les patients. Cette phase peut durer deux ans et à la fin on aura éliminé les deux tiers des drogues candidates qu'on avait au début.

8.1.6 Phase III

La phase III est encore plus poussée et onéreuse. Elle implique des milliers de patients et peut durer quatre ou cinq ans. Il s'agit ici de tester différents aspects de la posologie et de l'efficacité de la substance: effet placebo, dosage de la quantité optimale de drogue pour qu'elle ait un effet supérieur à celui d'autres substances, assurance de l'absence de contre-indication, etc. Seul le quart des candidats du début passeront cette étape et pourront recevoir le satisfecit de la FDA (Food and Drugs Administration).

C'est cette approche en plusieurs étapes qui a permis au Dr Frances Kelsey, de la FDA, d'empêcher que la thalidomide ne soit utilisée pour traiter la nausée du matin aux États-unis. Nous n'avons pas eu cette chance ici...

8.1.7 Phase IV

La phase IV se déroule quand une drogue est sur le marché. Il peut arriver (malheureusement) que malgré tous les efforts faits pendant les trois premières phases, un médicament présente des effets dangereux imprévus à long terme.

La fenfluramine (Fen-Phen), par exemple, a été brièvement vendue comme drogue miracle pour faire maigrir et vous imaginez quel succès elle a pu avoir chez les consommateurs. Malheureusement, plusieurs utilisateurs devaient mourir de problèmes cardiaques peu après le début de leur utilisation du produit, qui fut retiré du marché.

Le développement d'une nouvelle drogue, depuis les phases initiales jusqu'aux quatre phases cliniques.

8.1.8 Où la protéomique joue-t-elle un rôle?



C'est principalement au niveau de la recherche pré-clinique que la protéomique peut aider l'industrie, et surtout au niveau de l'identification de nouvelles cibles. Par contre, ce n'est pas là son unique application et on peut tester l'effet d'une drogue sur l'expression globale des protéines, ou utiliser des techniques ingénieuses de synthèse pour mettre au point des protéines artificielles qui auront un effet thérapeutique.

Le schéma ci-contre résume le processus qui conduit à la mise en marché d'une nouvelle drogue. Qu'on parte avec une maladie à guérir ou un médicament à tester, on doit identifier un cible qui puisse servir dans un test expérimental ET être utile dans le traitement d'une maladie. Le test sert à vérifier si la substance candidate peut jouer un rôle; quand on découvre qu'elle a du potentiel, on en modifie la structure chimique pour maximiser son efficacité.


8.2 Quelques compagnies intéressantes

Les compagnies suivantes (qui n’ont aucun lien avec ce site, je m’empresse de le préciser!!!) utilisent des techniques de pointe pour étudier les interactions protéiques, découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques, ou encore développer de nouveaux médicaments. Une visite sur leur propre site ne peut être qu’instructive.

La compagnie Caprion, de Montréal, utilise la spectrométrie de masse pour étudier les nombreuses interactions protéiques présentes dans les différentes régions de la cellule. Cette approche a permis la publication de plusieurs articles scientifiques d’une grande importance.

La compagnie Cellzome a utilisé la technique du TAP-tag pour définir une très grande majorité des interactions protéiques chez la levure. La compagnie offre même ses résultats à la communauté scientifique.

La compagnie Sangamo, au lieu d’utiliser des facteurs de transcription naturels pour contrôler l’expression des gènes, synthétise ses propres facteurs en modifiant la structure de doigts de zinc. Cela permet de créer de nouveaux facteurs de transcription capables de reconnaître de nouvelles cibles.


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benoit.leblanc@usherbrooke.ca