BCM-514

Biochimie des protéines
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5.0 La purification des protéines
5.3 Essai (suite)

5.3.2.3 Essai d'activité enzymatique: méthode continue.

Nous pouvons avoir plusieurs raisons de nous intéresser à l'activité de ce que nous purifions.

D'une part, il est possible que nous soyons sur la piste de quelque chose qui a une activité particulière, et que nous supposons être une protéine, mais sans en être sûrs. D'autre part, il est possible que ce soit l'activité de notre protéine qui nous intéresse et que nous n'ayons absolument pas besoin d'elle si elle a perdu cette activité. Dans les deux cas, nous devrons faire un test d'activité.

Le choix de notre essai repose une fois de plus sur la nature de notre protéine: si c'est une kinase, nous testerons sa capacité à phosphoryler un substrat; si c'est une polymérase, à synthétiser des polymères.

On distingue des méthodes dites continue, discontinue et couplée pour les essais enzymatiques, selon que la détection de l'activité enzymatique nécessite ou non des manipulations supplémentaires.

Dans la méthode continue, le produit de l'enzyme est différent du substrat. Il n'est donc pas besoin de les séparer avant de quantifier l'activité de l'enzyme. La méthode continue peut s'effectuer directement dans la solution où se retrouve l'enzyme purifié. Un exemple en est la quantification de l'activité de la luciférase, un enzyme qui hydrolyse la luciférine (son substrat) en provoquant la libération d'un photon. C'est le système enzymatique qui permet aux lucioles de s'envoyer des messages lumineux. Ici, le substrat est la luciférine alors que le produit à quantifier est un photon. Rien ne saurait être plus différent! On peut donc ajouter de la luciférine directement à une solution contenant la luciférase purifiée et compter les photons. Le substrat qui n'a pas été utilisé par l'enzyme n'interfère en rien avec la mesure.

C'est le cas aussi de différentes phosphomonoestérases. On les teste en les incubant avec le 4-nitrophényl phosphate, un composé incolore. L'action de ces enzymes convertit ce substrat en nitro phénol de couleur jaune. Comme la couleur finale est distincte de la couleur initiale, on peut l'évaluer directement.

5.3.2.4 Essai d'activité enzymatique: méthode discontinue

Il peut arriver que notre substrat ne puisse se distinguer du produit par la méthode de quantification utilisée. Le cas le plus flagrant est celui des méthodes utilisant des isotopes radioactifs.

Un test de kinase, par exemple, peut recquérir l'utilisation d'ATP radioactif; la kinase, en utilisant cet ATP, transfère un groupement phosphate isotopique sur son substrat. Il est cependant impossible de distinguer, dans le mélange réactionnel, le substrat nouvellement phosphorylé de l'ATP se trouvant dans la solution, puisque tous les deux sont radioactifs. Il faut donc d'abord les séparer.

5.3.2.5 Essai d'activité enzymatique: méthode couplée

Qu'advient-il quand le produit d'une réaction particulière n'a pas de résultat facilement observable?

On a recourt à une deuxième réaction qui utilise le produit de la première comme carburant!

La figure ci-dessous nous résume une telle méthode, telle qu'utilisée pour doser l'activité de l'aspartate aminostransférase. Cet enzyme convertit le 2-oxoglutarate et l'aspartate en glutamate et en oxaloacétate.

L'oxaloacétate ne se distingue pas particulièrement dans un tube: il ne dégage pas de photons, il ne change pas de couleur et il ne danse pas à claquettes. il faut donc une deuxième réaction pour révéler sa présence.

Le NADH absorbe la lumière de longueur d'onde 340nm, ce que ne fait pas le NAD+. On utilise donc l'action de l'enzyme malate déhydrogénase, qui convertit l'oxaloacétate et le NADH en malate et en NAD+. Cette réaction est accompagnée par une chute d'absorbance à 340nm, et n'aurait pas pu se produire si l'oxaloacétate n'avait pas été formé lors de la première réaction.

Bien que la mesure que nous prenons ne soit pas reliée à l'activité directe de l'aspartate aminotransférase, c'est tout de même cette dernière qui est responsable de la baisse d'absorbance observée. Une telle méthode couplée nous permet donc de mesurer indirectement l'activité d'un enzyme dont le produit immédiat ne se prêterait pas à une mesure plus directe.

5.3.2.6 Purification d'un enzyme: définir l'unité.

En assumant que ce soit l'activité d'un enzyme qui vous intéresse, il ne sera pas suffisant de le quantifier uniquement en termes de masse. L'activité devra être définie en termes d'unités.

Par exemple, on pourra définir une unité de nucléase EcoR I comme étant la quantité d'enzyme requise pour digérer complètement 1 ug d'ADN de phage lambda en une heure à 37°C dans un volume de 50 uL. La notion d'unité permet de comparer les activités de différentes préparations d'enzymes (on peut comparer l'activité spécifique de plusieurs préparations indépendantes).

Voici un exemple de calcul de l'activité d'une préparation d'ARN polymérase II. Cet enzyme catalyse la polymérisation de ribonucléosides phosphates en utilisant un brin d'ADN comme gabarit. Une unité utile serait définie par la quantité de ribonucléosides phosphates qui sont incorporés dans un polymère par unité de temps.

Nous définierons pratiquement notre unité en utilisant

(a) une quantité connue de polymérase II purifiée, et

(b) une concentration connue de nucléotides triphosphates radioactifs, avec une activité spécifique déterminée.

Test d'incorporation de GTP radioactif dans l'ARN par la polymérase II: un exercice à vous faire dresser les cheveux sur la tête!!!

Stock de mélange réactionnel (mélange 2X):

140 mM TrisHCl pH8

6 mM MnCl2

80 mM (NH4)2SO4

10 mM DTT

1 mM GTP

0,1 mg/mL poly riboC

6 uL de GTP-a32P 10 uCi/uL (3000 Ci/mmol)

dans 3 mL de volume total.

Les sels divers sont là pour assurer des bonnes conditions de pH et de salinité à la polymérase II. Le poly riboC est un polymère de cytosine phosphate; il servira de gabarit à la réaction (la polymérase II est particulièrement efficace pour initier la transcription sur un simple brin de C répétés).

Réaction:

- Faire la réaction dans 100 uL. Mélanger 50uL de mélange réactionnel 2X, 30 uL H20, et 20 uL de polymérase purifiée.

- (pour distinguer la réaction spécifique de la Polymérase II de celles des Polymérases I et III, on peut répéter l'expérience en y ajoutant 10ug/mL d'a-amanitine, qui inhibe l'activité de la pol II beaucoup plus rapidement que celle des deux autres polymérases).

- Incuber 20 minutes à T/P, derrière un écran de plexiglas. Le 32P est un émetteur de particules beta, des électrons de haute énergie, qui doivent être bloqués par une couche épaisse d'une matière molle plutôt que par une masse solide comme du plomb. 1 cm de plexiglas fait très bien l'affaire.

- Prendre 45 uL de réaction et spotter sur un filtre rond de papier chargé DE81 (qui lie l'ARN et l'ADN). Faire de même sur un deuxième filtre pour avoir un duplicat. (On utilise 45 uL plutôt que 50 uL pour compenser pour les pertes inévitables pendant le pipettage).

- Laver les filtres 3 fois avec un tampon phosphate (250 mL de Na2HPO4 5% à chaque fois). Il est pratique de le faire dans une unité de filtration Nalgene de 500mL; on peut ainsi aspirer le liquide chaque fois sans avoir à le manipuler (contenant le GTP radioactif non-incorporé, il est lui aussi très radioactif)!

- Après trois lavages, les filtres devraient être débarassés du GTP non incorporé. Rincer à l'éthanol et laisser sécher à l'air. Compter par scintillation.

Activité de l'isotope:

On vient d'obtenir des comptes en CPM. Mais attention! Pour pouvoir comparer ces comptes avec ceux obtenus lors d'autres préparations, il faut s'assurer de comparer les pommes avec les pommes!

Pour ce faire, il faut d'abord établir l'activité spécifique exacte de l'isotope utilisé dans la réaction. Le tube nous dit GTP-a32P, 10uCi/uL, 3000 Ci/mmol avec une date de référence. L'activité d'un isotope s'éteint avec le temps; il faut en tenir compte dans nos calculs. Pour le 32P, qui a une demi-vie assez courte de 14 jours, la baisse d'activité est la suivante:

 

 

 

Jours

Jours

 

0

1

2

3

4

0

1.000

0.953

0.906

0.865

0.824

5

0.785

0.748

0.712

0.678

0.646

10

0.616

0.587

0.559

0.532

0.507

15

0.483

0.460

0.436

0.418

0.396

20

0.379

0.361

0.344

0.328

0.312

Il est préférable de ne pas utiliser un isotope trop vieux. En fait, la plupart des fournisseurs nous les livrent avant la date de référence (qui correspond au jour 0 sur le tableau ci-haut). À la date de référence, l'activité spécifique par volume est réellement de 10 uCi/uL.

Si on utilise l'isotope avant la date de référence, 3 jours plus tôt par exemple, on aura une activité spécifique réelle supérieure à 10 uCi/uL. En fait, si on utilise le tableau ci-haut, on établira que l'activité spécifique dans trois jours d'ici, à la date de référence, équivaudra à 0.865 de l'activité réelle d'aujourd'hui. Une simple règle de trois nous apprendra alors que l'activité de notre isotope est aujourd'hui de

10 uCi/uL divisé par 0,865 = 11.56 uCi/uL.

Nous avons mis 6 uL de ce pastis dans notre mélange réactionnel; cela correspond à 69,36 uCi.

 

Activité spécifique du GTP dans notre mélange réactionnel:

Nous venons d'établir de façon précise l'activité spécifique de notre isotope; cependant, il ne faut pas oublier que la majeure partie du GTP dans notre réaction n'est pas radioactive (regardez la liste des sels dans le mélange réactionnel: nous y avons mis 1 mM de GTP). Le GTP radioactif sera donc dilué par le GTP froid, et l'activité spécifique du GTP total dans notre réaction sera donc moindre que celle trouvée dans notre pot de GTP radioactif (et heureusement, sinon nous brillerions dans le noir).

L'activité spécifique du GTP dans le mélange réactionnel correspond à l'activité totale du GTP divisé par la quantité totale de GTP.

L'activité totale, nous l'avons calculée à l'étape précédente, est de 69,36 uCi. La concentration de GTP dans notre tampon 2X (dont nous avons préparé 3 mL ci-haut) est de 1 mM; cela signifie 3 micromoles dans 3 mililitres. Il y a donc 3 micromoles de GTP dans notre mélange réactionnel 2X.

L'activité spécifique du GTP dans le mélange réactionnel est de 69,36 uCi divisé par 3 micromoles, ou 23,12 Ci/mol.

À ce point, il faut préciser deux choses. D'abord, nous parlons ici de l'activité spécifique du GTP, pas de celle du mélange réactionnel. Il n'est donc pas important que le mélange soit un stock 2X, puisque le GTP froid sera dilué en même temps que le chaud; il y aura donc toujours autant de froid que de chaud, proportionnellement, et l'activité spécifique du GTP ne changera pas.

Ensuite, vous noterez que je n'ai pas considéré l'apport de l'isotope radioactif à la quantité totale de GTP: c'est que la quantité de GTP froid est si grande par rapport à celle du GTP chaud que cette dernière devient négligeable. (Mais si vous tenez vraiment à le savoir, petits curieux, en ajoutant la quantité de GTP chaud à celle du froid on obtient 3,00000002 micromoles au lieu de 3 micromoles).

Tous les CPMs ne sont pas nés égaux.

Mais nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge! Les comptes que nous ont donnés le compteur à scintillation sont des cpm, ou comptes par minute. Chaque compte est l'enregistrement, par le compteur, d'un évènement de désintégration d'une particule radioactive. Cependant, un compteur ne peut pas enregistrer toutes les désintégrations. En plus, il peut arriver que son efficacité baisse avec le temps. Et puis tous les compteurs ne sont pas aussi bons les uns que les autres. À cause de tout cela, le cpm n'est pas une valeur très utile pour définir l'unité, car cette dernière ne serait alors utilisable qu'en utilisant toujours le même compteur. On cherchera plutôt à établir à combien de désintégrations par minute (dpm) nos cpm correspondent. Et c'est justement pour cela qu'un compteur est d'ordinaire accompagné de ses fioles à calibration.

Ces fioles ont été remplies à une date précise (marquée sur la fiole) d'une quantité donnée d'un isotope radioactif de longue demi-vie. L'étiquette de la fiole vous indique exactement le nombre de dpm qu'on pouvait y enregistrer à la date de référence.

En utilisant un tableau comme celui du 32P ci-haut et la date de référence, on mettre la fiole dans notre compteur et déterminer quelle est son efficacité aujourd'hui. De façon générale, un bon compteur enregistre environ 1 cpm par 2 dpm.

Supposons que ce soit le cas chez nous. Mettons que notre expérience ait donné 10 000 cpm. 10 000 cpm équivaudra à 20 000 dpm. On transforme ensuite les dpm en Ci selon le rapport

2,22 x 1012 dpm = 1 Ci

et 20 000 dpm= 9 x 10-9 Ci

Comme notre activité spécifique pour le GTP est de 23,12 Ci/mol, notre polymérase a donc incorporé

9 x 10-9Ci / 23,12 Ci/mol = 3,9 x 10-10mol ou 0,39 nmol.

Définition de l'unité:

Nous savons combien de polymérase purifiée nous avons mis dans chaque réaction, et grâce à notre gymnastique arithmétique nous savons aussi quelle est l'activité spécifique du GTP présent dans la réaction. Nous pouvons maintenant définir avec précision notre unité d'enzyme comme étant "la quantité de polymérase requise pour incorporer 1 nanomole de GTP en ARN pendant une réaction de 20 minutes à T/P".

Nous avions 20 uL de polymérase dans notre mélange réactionnel. Nous n'avons compté que 45 uL sur 100, ce qui correspond à 9 uL d'enzyme. Ces 9uL d'enzyme ont incorporé 0,39 nmol de GTP dans les conditions décrites. Pour incorporer 1 nmol de GTP, on aurait eu besoin de 23 uL d'enzyme. Notre enzyme a donc une concentration de 1 unité / 23 uL, ou de 0,043u/uL. (Comme ce chiffre est bas, on peut aussi l'écrire 43 unités/mL, ça paraît mieux)!

Cette unité a l'avantage de permettre de comparer une préparation de polymérase à une autre, peu importe où et quand celle-ci a été préparée, ni sur quel compteur à scintillation on l'a évaluée.

 
5.3.2.7 Essais d'activité non-enzymatique

Il peut arriver (et même il arrive fréquemment) que l'activité que nous cherchions ne soit pas enzymatique. C'est le cas, par exemple, de la recherche de protéines se liant à l'ADN. De telles protéines peuvent être des enzymes, mais ce n'est pas un pré-requis; de plus, leur liaison à l'ADN n'est pas un processus enzymatique.

Nous verrons dans un chapitre subséquent différentes techniques d'interaction ADN-protéines; pour le moment, mentionnons qu'il est possible d'utiliser de telles techniques pour suivre la présence et la spécificité d'une protéine pendant sa purification.

Les essais les plus simples pour une protéine liant l'ADN sont la migration retardée EMSA, pour electromobility shift assay) et l'empreinte à la DNAse (ou footprinting).


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